En effet, à partir de cette époque, des études ont suggéré que nous étions davantage susceptibles d’avoir des attitudes antisociales lorsque notre environnement était dégradé, par exemple si les murs étaient couverts de graffitis, ou les vitres cassées.

Une équipe néerlandaise vient de montrer que cette influence de l’environnement s’exerce aussi sur notre perception des catégories sociales : le désordre renforce l’adhésion à des stéréotypes et favorise les attitudes discriminatoires.

Pour le montrer, Diederik Stapel et Siegwart Lindenberg, de l’université de Tilburg, aux Pays-Bas, ont profité d’une situation exceptionnelle : la grève des nettoyeurs de la gare d’Utrecht en février 2010.

À cette occasion, ils ont fourni un questionnaire à 40 voyageurs blancs : ceux-ci devaient dire dans quelle mesure ils adhéraient à certains stéréotypes sur les musulmans et les homosexuels. Par exemple, "Les musulmans sont sales" ou "Les homosexuels sont créatifs."

Pendant que la personne interrogée remplissait le sondage, les psychologues lui demandaient de s’asseoir sur une rangée de sièges au bout de laquelle était assis un homme, qui était soit blanc, soit noir. Ils observaient alors à quelle distance de cet homme elle s’asseyait.

Quelques semaines plus tard, les psychologues ont répété l’expérience alors que la gare avait été nettoyée. Résultat : pendant la grève, les personnes sondées ont approuvé les stéréotypes avec environ 10% de plus de conviction qu’après la grève. Et elles se sont assises en moyenne 25% plus loin de l’homme noir que de l’homme blanc.

Afin de savoir si ces différences étaient plus liées à la saleté ou au désordre, les psychologues ont fait remplir le même questionnaire à 47 passants dans une rue. Ils ont modifié l’environnement en enlevant des pavés ou en plaçant une voiture mal garée, tout en gardant la chaussée propre. Ils ont constaté que les passants approuvaient davantage les stéréotypes lorsque la rue était en désordre.

Comment expliquer ce phénomène ? Les auteurs ont émis l’hypothèse que les préjugés nous permettent de compenser mentalement le désordre de l’environnement.

Pour la vérifier, ils ont mené une troisième expérience. Ils ont présenté à des sujets des images d’ordre ou de désordre. Puis ils leur ont demandé de remplir un questionnaire sur les stéréotypes, ainsi qu’un autre évaluant leur "besoin de structure", c’est-à-dire leur préférence pour ce qui est prévisible. Or les scores des deux questionnaires ont été plus élevés lorsque les images montraient du désordre, y compris lorsqu’elles étaient présentées de façon subliminale, sans que les personnes en aient conscience.

"Cette étude, très bien menée, prouve qu’un désordre matériel peut renforcer l’impact des stéréotypes sur nos jugements et nos comportements sans que nous en ayons conscience", approuve Georges Schadron, de l’université de Nice. "Elle ouvre la possibilité de combattre les stéréotypes sociaux, qui sont très difficiles à contrôler consciemment, en manipulant des éléments de l’environnement à l’insu des personnes."

Source : La Recherche du 21 juin 2011 (http://www.larecherche.fr/content/actualite-sapiens/article?id=30118)